A l’heure où, de façon souvent inconsidérée, le public, les gouvernements et hélas une partie des médias sur la base de présupposés idéologiques, de bons sentiments naïfs et de beaucoup de mauvaise foi, mettent en cause nos pratiques concernant nos malades difficiles, il est bon de faire le point. Nous commençons donc dans cette lettre de l’IDEPP à aborder ce sujet de façon exhaustive et d’abord étudier un point peu connu: la liberté d’aller et de circuler en psychiatrie.
Le sujet de l’ouverture des unités de psychiatrie pourrait paraître anachronique.
Pourtant, depuis les années 2008 (Discours du président Sarkozy à Anthony, et le virage sécuritaire) les soins sans consentements augmentent en France (54 000 en 2012, 70 000 en 2014, 80 000 en 2016), parallèlement nous assistons à une politique de fermeture des portes des services de soins en France mais également en Europe.
Ces constats vont à l’encontre
- de la déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a le droit de circuler librement »,
- du code de la santé publique : les patients en Soins libres ont les « mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause » et pour les patients en Soins psychiatriques sans consentement : « les restrictions à l’exercice des libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par l’état de santé et la mise en œuvre du traitement. »
- de la Circulaire Veil (1993) : « les patients en hospitalisation libre ne peuvent en aucun cas être installés dans des services fermés à clefs ni à fortiori dans des chambres verrouillées…. L’atteinte à la liberté d’aller et venir librement, ne peut se réaliser que pour des raisons tenant à la sécurité du malade et sur indication médicale. »
- des préconisations du contrôleur général des lieux de privation de libertés
C’est un sujet qui reste polémique. L’ouverture des portes augmenterait le risque de fugues, et la responsabilité du psychiatre. Le type de population du secteur conditionnerait cette ouverture. La stabilité du personnel des unités serait une condition nécessaire. Le nombre de patient mis en chambre d’isolement augmenterait…
L’argument principal motivant la fermeture des portes des unités est de limiter les sorties non autorisées. Or il n’existe aucune preuve qui justifie une telle privation de liberté.
C’est pourquoi nous avons réalisé une étude observationnelle rétrospective , sur la période du 01-jan-2015 au 31-dec-2016, au seins des Hôpitaux de Saint Maurice, qui compare les sorties non autorisées de tous les patients hospitalisés à temps plein dans l’un des quatre secteurs de psychiatrie adultes de l’hôpital :
3 secteurs avec une politique de portes fermées : les secteurs de Paris Centre, Paris 11ème et 12ème
1 secteur avec une politique de portes ouvertes : 94g16 (dont les portes sont ouvertes tous les jours de 10h à 18h depuis 2010)
Ces services de psychiatrie de secteur sont sensiblement comparables entre eux au niveau de l’environnement externe, des effectifs … De plus les populations hospitalisées sont homogènes au niveau de certains facteurs de risque de fugues tel que l’âge moyen et le pourcentage d’hommes. Enfin les données INSEE socio démographiques des populations générales de chaque secteur sont sensiblement similaires : pourcentage d’homme, âge moyen, taux de chômage. Le principal point qui les différencie est leur politique d’ouverture ou de fermeture des portes.
Entre 2015 et 2016, 6384 hospitalisations sont relevées, impliquant 3616 patients : 5317 (83%) dans un service aux portes fermées et 1067 (17%) dans un service aux portes ouvertes (17%).
Toutefois, on constate parmi les quatre secteurs, que le seul « ouvert » (94g16) présente le plus haut pourcentage de journée en soins libre (85%, contre 45% en moyenne pour les trois secteurs fermés) et le plus faible pourcentage de journée en soins sans consentement.
Les résultats ne montrent pas de différence significative du taux de sorties non autorisées, entre les secteurs fermés de Paris Centre et Paris 11 et le secteur ouvert 94g16. Autrement dit, statistiquement il n’y pas plus de risque pour un patient de fuguer qu’il soit hospitalisé dans l’un des deux secteurs parisiens fermés, ou dans celui ouvert.
Des résultats similaires sont retrouvés dans la bibliographie au niveau international. Tout particulièrement une étude Allemande prospective, réalisée sur 15 ans dans trois grandes régions et publiée en 2017 dans The Lancet Psychiatry , montre un taux de sorties non autorisées semblable quelle que soit la politique d’ouverture ou de fermeture des portes.
Le risque de fugue apparait donc identique entre services ouverts et fermés.
L’hypothèse est qu’une politique de portes ouvertes engendre une relation thérapeutique basée sur la confiance soignés/soignants. L’alliance thérapeutique est sans doute de meilleure qualité. Une politique de porte ouverte, au sein de notre pôle, est l’un des maillons d’une politique plus générale de démocratie sanitaire.
Le sujet de l’ouverture des services de psychiatrie est un sujet qui peut paraître bien modeste. Pourtant il est très ambitieux. Un seul trousseau de clé ne suffit pas à l’ouverture des portes. Un temps de préparation des équipes, des patients, et des familles est nécessaire.
Dr Alain CANTERO, psychiatre, praticien hospitalier chef de pôle 94G16
Dr Chloé MENARD , psychiatre, assistante pôle 94G16
Les auteurs déclarent n’avoir aucuns liens d’intérêt concernant les données publiées dans l’article.
Références bibliographiques :
|