Les députés précisent en commission les futures dotations financières en psychiatrie

Publié le 16/10/19
En commission des affaires sociales, les députés ont validé plusieurs précisions sur les futures dotations en psychiatrie, notamment celle dite « populationnelle », tout en rejetant le report de la réforme du financement à 2022.
Dans le cadre de l’examen en commission des affaires sociales du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), les députés ont validé des précisions au nouveau dispositif de financement de la psychiatrie, détaillé dans l’article 25 du texte (lire notre article). La totalité de la quinzaine d’amendements adoptés sur cet article a été portée par la députée Martine Wonner (LREM, Bas-Rhin), co-auteur d’un récent rapport sur l’organisation territoriale en santé mentale, qui met fortement l’accent sur le développement de l’ambulatoire (lire notre article). Conformément aux objectifs visés par les conclusions de ce rapport, plusieurs des modifications proposées par l’élue et un groupe de députés LREM ont visé à élargir le périmètre de l’objectif de dépenses et/ou les dotations créées par le PLFSS pour la psychiatrie, pour dépasser les références aux seules prises en charge hospitalières.

Prise en compte de l’extrahospitalier

Ainsi, un premier amendement validé en commission prévoit que l’objectif de dépenses d’assurance maladie pour la psychiatrie est constitué du montant annuel des charges supportées par les régimes obligatoires d’assurance maladie, non seulement pour les frais d’hospitalisation, mais aussi pour les « prises en charge » au titre des soins dispensés au cours de l’année. Il s’agit ainsi d’inclure à la fois la prise en charge intra et extrahospitalière, a souligné la députée.

Dans le même esprit, un amendement précise que l’analyse de l’offre, hospitalière et extrahospitalière, doit être prise en compte pour déterminer le montant de la dotation populationnelle, qui est le principal compartiment du futur modèle de financement (lire notre article), et un autre amendement que l’extrahospitalier est bien intégré dans les dotations complémentaires. D’autre part, une autre modification demandée par la députée et plusieurs de ses homologues LREM vise à s’assurer que l’offre médico-sociale sur un territoire soit bien prise en compte dans les critères utilisés pour la répartition interrégionale de la dotation populationnelle.

Participation aux missions spécifiques valorisée

Dans l’alinéa détaillant les modalités d’attribution de la dotation résultant de la dotation populationnelle régionale, l’un des critères repose sur la contribution de l’établissement aux besoins de santé de territoire. Unamendement adopté en commission précise à cet endroit que les besoins de santé auxquels les établissements contribuent sont « ceux qu’ils ont définis dans le projet territorial de santé mentale » (PTSM). Par ailleurs, le processus d’établissement de la dotation résultant de la dotation populationnelle doit tenir compte non seulement de l’avis des organisations nationales représentatives des établissements de santé, comme le prévoit le PLFSS, mais aussi celui des associations d’usagers et les représentants des familles, selon un autreamendement.

Au volet de la dotation liée aux missions spécifiques en psychiatrie, un autre permet que les établissements ne soient pas seulement financés sur les missions qu’ils assurent en totalité, mais aussi sur celles auxquelles ils participent. Un amendement validé permet ainsi que la dotation puisse « également être attribuée lorsque l’établissement assure, en lien avec d’autres une activité spécifique partagée, comme peut l’être la gérontopsychiatrie par exemple », a expliqué Martine Wonner. Il s’agit ici « d’encourager les synergies territoriales qui poussent des acteurs à s’engager dans une dynamique commune au service de la prise en charge en santé mentale », a-t-elle souligné.

Tentatives de report de la réforme

Des députés centristes ont essayé à plusieurs reprises de reporter d’un an la réforme mais les amendements ont été repoussés, au motif notamment, selon le rapporteur général Olivier Véran (LREM, Isère) que cette « réforme est très attendue » par les acteurs de la psychiatrie. Un premier amendement visait ainsi à « appliquer un calendrier plus réaliste », en permettant le maintien des anciennes modalités de financement des activités de psychiatrie du secteur privé « durant une période transitoire, soit jusqu’au 1er janvier 2022 ». Un second visait à reporter la réforme à 2022 pour tous les établissements, publics et privés. La commission a également repoussé deux demandes de rapport des députés La France insoumise (LFI) sur le financement de la psychiatrie d’une part, ainsi que sur le « rattrapage de la plus faible évolution du sous-objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) psychiatrie par rapport à l’Ondam ». Plus étonnamment, une autre demande de rapport des élus LFI au Gouvernement sur « le coût du remboursement intégral ou partiel des psychothérapies effectuées par des psychologues », en vue d’un meilleur accès aux psychothérapies, a été écartée par le rapporteur général. Alors qu’Olivier Véran a lui-même convenu que « la place des psychologues cliniciens dans le dispositif de prise en charge en santé mentale doit être repensée ». Car il y a notamment un problème d’accès aux consultations, a-t-il développé, lié à la condition d’une prescription médicale et des remboursements actuellement possibles uniquement dans le cadre d’expérimentations (lire notre interview et notre article). Et pourtant, a-t-il souligné, il n’y a pas « un centre médico-psychologique (CMP) dans le secteur public aujourd’hui qui pourrait tourner sans psychologue ».

Caroline Cordier

Psychiatrie: contre toute attente, le Conseil d’Etat n’annule que très partiellement le décret Hopsyweb

PARIS, 7 octobre 2019 (APMnews) – Le Conseil d’Etat n’a annulé, contre toute attente par rapport aux préconisations du rapporteur public, que deux dispositions du décret instituant Hopsyweb, le traitement de données à caractère personnel pour le suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, selon sa décision communiquée à APMnews lundi.

Le décret créant Hopsyweb est paru au Journal officiel en mai 2018 (cf dépêche du 24/05/2018 à 12:09). Il autorise les agences régionales de santé (ARS) à mettre en oeuvre ce traitement de données.

Dès sa parution, le décret a provoqué l’ire des usagers et des professionnels de santé (cf dépêche du 05/06/2018 à 18:49, dépêche du 20/07/2018 à 16:04). Le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA) est l’une des premières organisations à avoir saisi le Conseil d’Etat en demande d’annulation de ce texte, suivi du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH) et du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom).

Mi-septembre, le Conseil d’Etat a examiné ces trois recours (cf dépêche du 16/09/2019 à 19:04) et le rapporteur public du Conseil d’Etat avait préconisé d’annuler trois articles:

l’article 4 qui énumère les destinataires des données d’Hopsyweb, parmi lesquels les représentants de l’Etat dans le département, le juge des libertés et de la détention (JLD), le procureur de la République du tribunal de grande instance (TGI), le directeur de l’établissement d’accueil ou l’agent placé sous son autorité, l’avocat de la personne ou encore les membres de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), les fonctionnaires du greffe du tribunal de grande instance chargés des procédures de soins sans consentement, le maire, ou à Paris le commissaire de police, auteur d’un arrêté prenant les mesures provisoires en vue d’une admission en soins psychiatriques

l’article 5 qui permet au ministère en charge de la santé de désigner des personnels habilités à accéder aux données à des fins statistiques

l’article 6 qui prévoit que les données et informations « sont conservées pendant trois ans à compter de la fin de l’année civile suivant la levée de la mesure de soins sans consentement ».

Or, dans sa décision transmise lundi, le Conseil d’Etat n’annule finalement que deux alinéas de l’article 1er du décret, qui liste ce que permet Hopsyweb pour permettre « le suivi des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement », ainsi qu’il est indiqué dans le décret.

La juridiction annule la « consultation nationale des données collectées dans chaque département » par « les services centraux du ministre chargé de la santé » à des « fins de statistiques », ainsi que la possibilité pour les commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) d’une « exploitation statistique des données collectées au niveau départemental […] en vue de l’élaboration du rapport d’activité ».

Le Conseil d’Etat estime que « le décret attaqué ne pouvait légalement pas permettre la consultation nationale des données collectées dans chaque département par les services centraux du ministère chargé de la santé aux fins de statistiques, ni l’exploitation statistique des données collectées au niveau départemental pour la confection du rapport d’activité annuelle des [CDSP] sans prévoir la pseudonymisation des données utilisées ».

Une durée de conservation des données « pas excessive »

Pour le reste, la juridiction juge que les traitements de données d’Hopsyweb « ont d’abord pour finalité de permettre aux [ARS] d’assurer le suivi administratif » des personnes en soins sans consentement « et ensuite pour autres finalités de répondre aux demandes d’informations des préfets […] dans le cadre de l’instruction des demandes d’autorisation d’acquisition et de détention d’armes, d’établir au niveau national des statistiques permettant de conduire une politique publique pertinente en matière de soins psychiatriques sans consentement et d’exploiter statistiquement des données ».

Dans ce cadre, elle pense que, comme les destinataires listés dans l’article 4 n’ont accès qu’aux seules données et informations, dixit le décret, « nécessaires à l’exercice de leurs attributions » et que « l’accès à ces données est limité à la durée de conservation dans le traitement », les dispositions du texte attaqué « n’ont ni pour objet ni pour effet d’opposer aux personnes faisant l’objet de soins psychiatriques leurs antécédents psychiatriques » et ne sont pas en contradiction avec l’article du code de la santé publique qui dispose que les patients en soins sans consentement conservent, à l’issue de leurs soins, la totalité de leurs droits.

De plus, poursuit le Conseil d’Etat, le décret n’a « ni pour objet ni pour effet » de permettre aux destinataires des données d’accéder à des informations relatives à la santé des personnes dérogeant au secret médical et ne porte donc pas atteinte au statut des praticiens hospitaliers.

Contrecarrant d’autres arguments des requérants, il explique ensuite que créer un traitement de données à caractère personnel n’implique pas obligatoirement de mentionner les modalités d’information des personnes concernées, ni les modalités d’effacement ou de rectification des données (dans le cas d’une mainlevée de la mesure, par exemple).

Concernant la durée de conservation des informations, le Conseil d’Etat reprend les arguments du ministère de la santé, à savoir que selon une étude de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de 2016, les personnes sont stabilisées au bout de trois ans. En fixant la durée de conservation précisément à trois ans, « le décret attaqué n’a pas fixé une durée excessive » à la fois pour le suivi administratif et pour l’information du préfet quant à la détention d’armes, écrit-il.

Cette décision du Conseil d’Etat « est parfaitement décevante », déplore le CRPA dans un communiqué diffusé lundi.

Rappelant les recours toujours en cours (cf dépêche du 14/05/2019 à 17:29 et dépêche du 17/05/2019 à 17:15) sur le décret paru le 7 mai au Journal officiel permettant de croiser certaines informations entre Hopsyweb et le Fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) (cf dépêche du 07/05/2019 à 12:20), le président du CRPA, André Bitton, dit espérer « qu’il sera censuré plus avant ».

La décision du Conseil d’Etat – décret Hopsyweb
vl/ab/APMnews

POLSAN – ETABLISSEMENTS

Procédure de choix 2019 : catastrophe pour la psy, la MG relève la tête

Whath’s Up Doctor – 26/09/2019

C’est fait : la procédure de choix des internes s’est close le 24 septembre dernier. La psy enregistre une contre-performance, tout comme la santé publique, tandis que la médecine générale fait le plein…

Le calvaire et l’angoisse des ECNi sont derrière les quelque 8308 étudiants qui ont finalisé leur procédure de choix 2019 ce 24 septembre« 8308 étudiants, dont 271 étudiants européens, ont été affectés dans les 44 spécialités médicales ouvertes et les 28 centres hospitaliers universitaires (CHU). Les 209 étudiants ayant souscrit un contrat d’engagement de service public (CESP) ont également été affectés », détaille le centre national de gestion. Comme nous l’avions annoncé, le major de promotion a choisi la médecine cardio-vasculaire. Par ailleurs, établit le CNG, « les spécialités les plus demandées cette année sont la chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique disponible jusqu’au rang 1807, la dermatologie et vénéréologie disponible jusqu’au rang 2277, la chirurgie maxillo-faciale disponible jusqu’au rang 2426 ».  

Contre-performance

Le CNG ajoute que la psychiatrie a été choisie au 134e rang. Mais ce que ne dit pas le CNG, c’est que plus de 17% des postes de psychiatrie n’ont pas été pourvus. Un record quasi historique. Une contre-performance devancée par la santé publique, dont 35% des postes n’ont pas été pourvus…

En 2018, en psy, seuls 4% des postes n’avaient pas été pourvus, en 2017 on tombait à 1,38%, et en 2017 à 1,58%… Cette année, la psy participe à hauteur de 50% de la totalité des postes non pourvus. Contacté par Wud, Audrey Fontaine, présidente de l’association française des étudiants en psychiatrie (Afepp), se dit très inquiète : « Nous souffrons de la mauvaise image de la psy, les étudiants ont dû se dire : pourquoi choisir une spécialité qui va exploser ? », résume-t-elle. Pour éviter que le crash ne se reproduise l’année suivante, l’Afepp va poursuivre la campagne de com’ qu’elle avait entamée pour sensibiliser les étudiants aux vertus de sa spécialité, #jechoisislapsy : « Nous allons continuer notre campagne #jechoisislapsy. Tout en poursuivant un travail avec l’anemf, mais nous souhaitons que tout le monde s’y mette, pas seulement l’Anemf et l’Affep, mais aussi les praticiens hospitaliers, les PuPH… »  Si la psychiatrie s’est plantée, la médecine générale a pourvu tous ses postes. Une première ! De la même manière que les étudiants en psy, des étudiants en médecine générale avaient fait la promo de leur spé sur les réseaux sociaux. Avec un peu plus de succès, semble-t-il, que les psys…

Un rapport sur l’organisation de la santé mentale qui semble se complaire dans le catastrophisme ou quand on veut noyer son chien

Paris le 2 octobre 2019

Communiqué :

Un rapport d’information parlementaire a été déposé par la commission des affaires sociales le 18 septembre 2019 en conclusion des travaux de la mission relative à l’organisation de la santé mentale composée de M. Brahim Hammouche, Président et Mesdames Fiat et Wonner, Rapporteures.

Ce rapport, curieusement dit « rapport Wonner », se présente sous une forme très singulière : un avant-propos du Président de la mission, sur trente pages puis une synthèse suivie d’une centaine de pages des deux rapporteures manifestant leurs désaccords sur bon nombre de sujets pourtant majeurs tels que la place des établissements psychiatriques au sein des GHT, le rôle des centres experts, le développement des référentiels de bonnes pratiques, le moratoire sur les capacités hospitalières, la place des fonds privés et le développement de la psychiatrie lucrative comme si les trois députés avaient sur le sujet trois avis différents.

Rarement un rapport confondant à chaque page les termes de psychiatrie et de santé mentale ne s’était montré si outrancièrement catastrophiste, reprenant à son compte des difficultés connues et des carences maintes fois dénoncées par les professionnels eux-mêmes, sans qu’il ne soit jamais fait mention des démarches constructives actuelles qu’ils réalisent pour y remédier .

Qu’en retenir ? L’organisation du dispositif de prévention et de soins est qualifiée d’intangible depuis les années 60, inefficace et inefficiente. Il en résulterait une prise en charge « catastrophique », la sectorisation serait « un échec »… Le virage ambulatoire est estimé insuffisant alors que plusieurs rapports précédents ont affirmé le contraire ! Aujourd’hui, selon les données de l’ATIH la psychiatrie générale est ambulatoire à 80% et la psychiatrie infanto- juvénile à 90%.

Rien sur le fait que la psychiatrie fut la première discipline à se territorialiser comme s’y engagent aujourd’hui l’ensemble des établissements publics de santé. Aucun rappel historique sur le fait que les Centres Médico-Psychologiques, les Conseils Locaux de Santé et les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM) sont issus de la volonté forte des usagers et des professionnels, notamment de la psychiatrie publique. Le rapport se montre particulièrement contradictoire quant à la plus-value qu’apporteraient les PTSM. La proposition qu’il formule de s’en remettre aux Agences Régionales de Santé pour leur pilotage va totalement à contre-sens des attentes des territoires.

Rien sur les efforts faits à partir des dix mesures urgentes du 8 novembre 2018 notamment sur la recherche et la mise en place de la coordination des dispositifs régionaux.

Rien sur le partenariat de près de cinquante ans dans un dialogue constant avec les représentants des patients.

Aucune mention des travaux du Comité national de pilotage de la psychiatrie en décembre 2018 préconisant 3 échelons territoriaux ni de la coordination nationale des dispositifs régionaux de recherche clinique en psychiatrie et santé mentale.

Cette posture de pompier pyromane ne serait qu’anecdotique si elle ne se faisait dans un contexte déjà marqué par de fortes tensions dans les services d’urgences ainsi que dans nos établissements en proie à la chute démographique médicale annoncée.

Notre Conférence n’avait pas attendu ce rapport pour dire le 12 septembre 2018 aux côtés de près de quinze représentations institutionnelles, la psychiatrie en état d’urgence républicaine. Elle avait souligné le besoin que soient confortes les travaux du Copil de psychiatrie installé par la Ministre en 2017, plutôt que celui d’un énième rapport. Le 8 novembre 2018, la conférence portait dix mesures urgentes à mettre en œuvre, dont certaines sont en cours de réalisation et pour lesquelles le travail est engagé.

Comment peut-on faire preuve de si peu de bienveillance à l’égard de l’ensemble des acteurs et de si peu de considération pour leur action au quotidien sur le terrain ? Comment les étudiants, futurs médecins infirmiers etc… pourraient-ils s’engager dans une description si dramatisée de leur futur métier, alors que des postes d’internes en psychiatrie restent vacants comme vient de le montrer le résultat du dernier choix de spécialité 2019. Tout cela pour aboutir à un ensemble de neuf propositions sans réel contenu opérationnel ou d’une confondante évidence.

Une telle caricature de la situation de la psychiatrie dans notre pays n’est pas à l’honneur des auteurs de ce rapport qui ne peut que contribuer à ruiner les efforts faits en faveur de l’attractivité de la discipline et de renforcer la stigmatisation des patients et des professionnels. Tout se passe comme si ce rapport tombait à point nommé pour en finir avec la psychiatrie publique, et dissoudre son organisation dans un dispositif de santé mentale essentiellement ambulatoire, limitant l’hospitalisation aux soins sans consentement, multipliant des équipes toujours plus mobiles, réduisant des psychiatres à des collaborateurs de centres experts délivrant des programmes standardisés de réhabilitation, des infirmiers de pratiques avancées et des psychologues isolés, et ouvrant la voie à la mise en place d’un dispositif de défense sociale aux antipodes de la conception du soin psychique en France et abondamment critiqué en Europe.

Pouvait-on nier plus injustement la réalité de la maladie mentale et la mission de la psychiatrie publique ?

Soins sans consentement en psychiatrie: vers une annulation partielle du décret Hopsyweb par le Conseil d’Etat

25/09/2019
PARIS (TIC santé)

Le rapporteur public du Conseil d’Etat a préconisé le 16 septembre l’annulation de trois articles du décret qui a institué Hopsyweb, traitement de données à caractère personnel pour le suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement.

Ces articles concernent les destinataires des données, la durée de conservation des informations et les nécessités statistiques.

Le décret créant Hopsyweb est paru au Journal officiel en mai 2018. Il autorise les agences régionales de santé (ARS) à mettre en oeuvre ce traitement de données.

Il liste le type d’informations que les ARS peuvent recueillir (article 2, données d’identification de la personne, données d’identification des médecins auteurs des certificats médicaux ou des rapports d’expertise, informations administratives ou juridiques des personnes en soins sans consentement, adresses électroniques des professionnels intervenant dans le suivi, données d’identification des avocats ou des individus chargés de la protection juridique des personnes concernées).

Il énumère les destinataires de ces données (article 4), parmi lesquels les représentants de l’Etat dans le département, le juge des libertés et de la détention (JLD), le procureur de la République du tribunal de grande instance (TGI), le directeur de l’établissement d’accueil ou l’agent placé sous son autorité, l’avocat de la personne ou encore les membres de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP), les fonctionnaires du greffe du tribunal de grande instance chargés des procédures de soins sans consentement, le maire, ou à Paris le commissaire de police, auteur d’un arrêté prenant les mesures provisoires en vue d’une admission en soins psychiatriques.

Dès sa parution, le décret a provoqué l’ire des usagers et des professionnels de santé. Le Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA) est l’une des premières organisations à avoir saisi le Conseil d’Etat en demande d’annulation de ce texte.

Lundi, la haute juridiction a examiné en séance publique les recours du CRPA, du Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom) et du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH).
Le rapporteur public doit exposer un avis objectif sur les problématiques juridiques du litige pour éclairer la juridiction administrative, laquelle suit ses conclusions dans la majorité des cas, rappelle-t-on.
A l’audience, ce dernier a expliqué que les requérants contestaient « la logique sécuritaire qui préside selon eux au traitement » des données.

Concernant la légitimité de chaque auteur des recours, il a estimé que les requêtes du CRPA, du Cnom -« qui a vocation à défendre les droits des médecins »- et du SPH -quand elle concerne « l’organisation » des services hospitaliers, leurs droits et prérogatives et conditions d’emplois- étaient recevables. En revanche, l’intervention en demande de la Fédération française de psychiatrie (FFP), associée au Cnom, n’est pas recevable car « l’objet statutaire » de la fédération « n’entretient pas un lien suffisant avec le traitement des données d’identification des médecins psychiatres ».

« La continuité et la cohérence du suivi médical des patients »

Le CRPA avait mis en avant dans son recours l' »incompétence de l’auteur de ce décret », estimant que seule la loi, et non le pouvoir réglementaire, pouvait créer un tel fichier. Le rapporteur public n’a pas suivi cet argument.
Le rapporteur public a souligné ensuite que le décret créant Hopsyweb est entré en vigueur le 25 mai 2018, le jour de la mise en application du règlement général européen sur la protection des données (RGPD), même si le règlement date de 2016. Il a rejeté la demande d’annulation pour cette raison et a conseillé d’en rester « sagement à la règle simple de la date de signature ». De plus, citant un argument du SPH notamment, il a jugé qu’un éventuel détournement abusif du décret ne peut pas remettre en cause la légalité de ce texte.
Le rapporteur public a conclu à l’annulation de l’article 6 du décret qui prévoit que les données et informations « sont conservées pendant trois ans à compter de la fin de l’année civile suivant la levée de la mesure de soins sans consentement » et à l’article 5 qui permet au ministère de la santé de désigner des personnels habilités à accéder aux données à des fins statistiques.

Il a notamment fait remarquer que la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) s’était interrogée sur ce délai de trois ans, et a rappelé l’un des arguments du ministère des solidarités et de la santé, qui fait état d’une étude de l’l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) signifiant que la situation des patients faisant l’objet de soins sans consentement se stabilisait au bout de trois ans. Mais il a estimé que dans cette réponse, le ministère ne faisait pas état « d’une quelconque utilité opérationnelle de la conservation des données ».

« Ce qui compte, c’est la continuité et la cohérence du suivi médical des patients », ce suivi étant assuré par les médecins, a-t-il souligné. Concernant le suivi administratif, la protection des données sensibles « doit prendre le pas sur la commodité administrative », a-t-il notamment assuré.

Il a balayé aussi un autre argument du ministère justifiant ce délai de trois ans pour permettre l’information du préfet dans le cadre des autorisations de détention d’armes, jugeant que, de toute façon, l’ARS ne donnait aucune information sur la date ou la durée des soins sans consentement des personnes inscrites dans Hopsyweb, mais informait simplement sur le fait que la personne avait bénéficié de soins sans consentement.
Concernant les nécessités statistiques, elles n’impliquent pas, selon lui, d’avoir des données permettant d’identifier les personnes. Il a aussi conclu à l’annulation de l’article 4, qui liste les destinataires des données.

Valérie Lespez

Liberté d’aller et venir en psychiatrie

A l’heure où, de façon souvent inconsidérée, le public, les gouvernements et hélas une partie des médias sur la base de présupposés idéologiques, de bons sentiments naïfs et de beaucoup de mauvaise foi, mettent en cause nos pratiques concernant nos malades difficiles, il est bon de faire le point. Nous commençons donc dans cette lettre de l’IDEPP à aborder ce sujet de façon exhaustive et d’abord étudier un point peu connu: la liberté d’aller et de circuler en psychiatrie.

Le sujet de l’ouverture des unités de psychiatrie pourrait paraître anachronique.
Pourtant, depuis les années 2008 (Discours du président Sarkozy à Anthony, et le virage sécuritaire) les soins sans consentements augmentent en France (54 000 en 2012, 70 000 en 2014, 80 000 en 2016), parallèlement nous assistons à une politique de fermeture des portes des services de soins en France mais également en Europe.

Ces constats vont à l’encontre

  • de la déclaration universelle des droits de l’homme : « toute personne a le droit de circuler librement »,
  • du code de la santé publique : les patients en Soins libres ont les « mêmes droits liés à l’exercice des libertés individuelles que ceux qui sont reconnus aux malades hospitalisés pour une autre cause » et pour les patients en Soins psychiatriques sans consentement : « les restrictions à l’exercice des libertés individuelles doivent être limitées à celles nécessitées par l’état de santé et la mise en œuvre du traitement. »
  • de la Circulaire Veil (1993) : « les patients en hospitalisation libre ne peuvent en aucun cas être installés dans des services fermés à clefs ni à fortiori dans des chambres verrouillées…. L’atteinte à la liberté d’aller et venir librement, ne peut se réaliser que pour des raisons tenant à la sécurité du malade et sur indication médicale. »
  • des préconisations du contrôleur général des lieux de privation de libertés

C’est un sujet qui reste polémique. L’ouverture des portes augmenterait le risque de fugues, et la responsabilité du psychiatre. Le type de population du secteur conditionnerait cette ouverture. La stabilité du personnel des unités serait une condition nécessaire. Le nombre de patient mis en chambre d’isolement augmenterait…

L’argument principal motivant la fermeture des portes des unités est de limiter les sorties non autorisées. Or il n’existe aucune preuve qui justifie une telle privation de liberté.
C’est pourquoi nous avons réalisé une étude observationnelle rétrospective , sur la période du 01-jan-2015 au 31-dec-2016, au seins des Hôpitaux de Saint Maurice, qui compare les sorties non autorisées de tous les patients hospitalisés à temps plein dans l’un des quatre secteurs de psychiatrie adultes de l’hôpital :
3 secteurs avec une politique de portes fermées : les secteurs de Paris Centre, Paris 11ème et 12ème
1 secteur avec une politique de portes ouvertes : 94g16 (dont les portes sont ouvertes tous les jours de 10h à 18h depuis 2010)
Ces services de psychiatrie de secteur sont sensiblement comparables entre eux au niveau de l’environnement externe, des effectifs … De plus les populations hospitalisées sont homogènes au niveau de certains facteurs de risque de fugues tel que l’âge moyen et le pourcentage d’hommes. Enfin les données INSEE socio démographiques des populations générales de chaque secteur sont sensiblement similaires : pourcentage d’homme, âge moyen, taux de chômage. Le principal point qui les différencie est leur politique d’ouverture ou de fermeture des portes.

Entre 2015 et 2016, 6384 hospitalisations sont relevées, impliquant 3616 patients : 5317 (83%) dans un service aux portes fermées et 1067 (17%) dans un service aux portes ouvertes (17%).
Toutefois, on constate parmi les quatre secteurs, que le seul « ouvert » (94g16) présente le plus haut pourcentage de journée en soins libre (85%, contre 45% en moyenne pour les trois secteurs fermés) et le plus faible pourcentage de journée en soins sans consentement.

Les résultats ne montrent pas de différence significative du taux de sorties non autorisées, entre les secteurs fermés de Paris Centre et Paris 11 et le secteur ouvert 94g16. Autrement dit, statistiquement il n’y pas plus de risque pour un patient de fuguer qu’il soit hospitalisé dans l’un des deux secteurs parisiens fermés, ou dans celui ouvert.
Des résultats similaires sont retrouvés dans la bibliographie au niveau international. Tout particulièrement une étude Allemande prospective, réalisée sur 15 ans dans trois grandes régions et publiée en 2017 dans The Lancet Psychiatry , montre un taux de sorties non autorisées semblable quelle que soit la politique d’ouverture ou de fermeture des portes.

Le risque de fugue apparait donc identique entre services ouverts et fermés.
L’hypothèse est qu’une politique de portes ouvertes engendre une relation thérapeutique basée sur la confiance soignés/soignants. L’alliance thérapeutique est sans doute de meilleure qualité. Une politique de porte ouverte, au sein de notre pôle, est l’un des maillons d’une politique plus générale de démocratie sanitaire.

Le sujet de l’ouverture des services de psychiatrie est un sujet qui peut paraître bien modeste. Pourtant il est très ambitieux. Un seul trousseau de clé ne suffit pas à l’ouverture des portes. Un temps de préparation des équipes, des patients, et des familles est nécessaire.

Dr Alain CANTERO, psychiatre, praticien hospitalier chef de pôle 94G16
Dr Chloé MENARD , psychiatre, assistante pôle 94G16
Les auteurs déclarent n’avoir aucuns liens d’intérêt concernant les données publiées dans l’article.

Références bibliographiques :

  • Bowers L, Haglund K, Muir-Cochrane E, Nijman H, Simpson A, Van Der Merwe M. Locked doors: a survey of patients, staff and visitors: Locked doors survey. J Psychiatr Ment Health Nurs. , déc. 2010;17(10):87380.
  • Muir-Cochrane E, van der Merwe M, Nijman H, Haglund K, Simpson A, Bowers L. Investigation into the acceptability of door locking to staff, patients, and visitors on acute psychiatric wards. Int J Ment Health Nurs. , févr. 2012;21(1):41- 9.
  • Les politiques de portes ouvertes ou fermées en psychiatrie : étude observationnelle rétrospective du risque de sorties non autorisées : Thèse pour le doctorat en médecine soutenue par Chloé Menard, dirigée par Dr Alain Cantero, sept. 2018.
  • Huber CG, Schneeberger AR, Kowalinski E, Fröhlich D, von Felten S, Walter M, et al. Suicide risk and absconding in psychiatric hospitals with and without open door policies: a 15 year, observational study. Lancet Psychiatry. , sept. 2016;3(9):8429.